samedi 28 juillet 2007

Chapitre 3 : Où il est question de lunettes de soleil

Quand la fumée autour de lui se dissipa, Mig sentit de nouveau la terre ferme sous ses sabots La forte lumière qui régnait autour de lui le fit cligner des yeux. Du blanc. Tout était blanc. La banquise sous ses pattes, le ciel lumineux, le glacier du fjord.
- Tiens, mets ça, c’est offert par la maison ! lança Léon.
Mig attrapa les lunettes de soleil que lui tendit le lutin.
- Il n’est pas censé faire nuit en permanence au pôle Nord à cette époque de l’année ? s’étonna Mig.
- Oui, normalement… Mais cet endroit est magique, je te l’ai dit ! On peut bronzer tous les jours de l’année. L’inconvénient, c’est cette lumière aveuglante presque toute la journée… Les lunettes de protection sont indispensables ici… Vas-y, essaie-les !
Le caribou imita le lutin et mit ses lunettes de soleil.
- La classe, non ? reprit Léon. Vise un peu la marque : « Sun Taclaus »… C’est leur nouvelle collection ! Surtout ne les perds pas, elle te seront d’une grande utilité…
Mig n’écoutait plus le lutin. Des centaines d’animaux de l’arctique apparaissaient l’un après l’autre autour de lui dans un nuage de fumée. Des cervidés principalement, rennes et caribous, mais aussi des ours blancs, des oiseaux et même des rongeurs.
Chaque candidat était accompagné d’un lutin, l’un apparaissant quelques secondes après l’autre sur la banquise.
- Combien de candidats ont-il sélectionné ? pensa Mig à haute voix.
- 350 pour être précis, dit une voix derrière lui.
Mig reconnut immédiatement son interlocuteur.
- Polysti, je me demandais où tu étais !
- Je t’ai vu arriver ! J’étais déjà là depuis quelques minutes… Toi aussi tu as eu les lunettes ? Chouette, hein… Dis, tu n’aurais pas croisé deux pingouins par hasard ?
- J’en ai aperçu deux qui m’ont doublé dans le tunnel avant d’arriver ici… Pourquoi ?
- C’est la police des transports. Pour te dire la vérité, j’ai réussi à semer mon lutin tout à l’heure… Quelle sensation de vitesse ! J’allais au moins à 1 000 kilomètres/heure ! Le hic, c’est que je me suis fait flashé…
- Tu… Quoi ? gronda Mig.
- Un renne qui a passé le concours l’an dernier m’a fourni le positionnement de tous les radars dans le tunnel… Mig, je ne pouvais pas prévoir qu’ils en installeraient d’autres cette année !
- Tu sais ce que tu risques ? « Tout comportement irrespectueux envers le lutin qui vous accompagne, tout excès de vitesse ou tout accrochage de bois avec un autre cervidé dans le tunnel est strictement interdit et passible d’une élimination immédiate du candidat ». Tu n’as pas lu le papier que t’as remis le lutin ?
- Je croyais que c’était de la publicité… Mig, cache-moi, vite !
A quelques mètres d’eux, deux pingouins patrouillaient, dévisageant les nouveaux arrivants avec attention.
- Hé, vous deux là !
Polysti sursauta et faillit tomber, dissimulé derrière son ami.
- C’est l’heure du rassemblement, venez avec moi.
La tête de Polysti apparut soudain derrière celle de Mig. Devant eux, Léon leur faisait signe d’approcher. Polysti poussa un grand soupir de soulagement. Les deux caribous se mêlèrent alors au flot des animaux qui se dirigeait maintenant vers le centre du fjord.
Deux immenses hauts parleurs avaient été installés sur un bloc de glace de trois mètres de haut. Au-dessus du podium flottait une large banderole rouge sur laquelle on pouvait lire, inscrit en lettres blanches : « Bienvenue ! ».
Sur l’estrade de glace, un lutin semblable en tout point à Léon s’éclaircit la voix avant de s’emparer d’un micro.
- Chers caribous, chers rennes, chers…
Il hésita en fixant du regard les cinq ours polaires, les deux phoques, le bœuf musqué, les six guillemots de Brünnich[1] et le lemming qui s’étaient regroupés à droite de tous les cervidés.
- Mesdames et messieurs, bienvenue à tous ! Sans plus attendre, laissez-moi vous présenter l’immense, l’unique, le MAGIQUE (il leva les bras au ciel sur ce dernier adjectif), j’ai nommé… le père… Noooëëël !
Sous un tonnerre d’applaudissements et de « hourra » du public, une explosion retentit sur le podium, laissant place à un nuage de fumée rouge et blanche. De chaque côté, deux énormes canons, supportés chacun par six lutins, crachèrent des étoiles d’or et d’argent au-dessus de la foule. Des feux d’artifice jaillirent ensuite dans le ciel, formant des phrases gigantesques, telles « Think different. Think Christmas ! » ou « Mon renne de Noël… c’est peut-être VOUS ! ». Cette dernière inscription fut suivie d’un portrait gigantesque du père Noël dans le ciel, le doigt tendu vers les animaux en dessous.

Le père Noël arriva en hélicoptère. L’engin se fixa en vol stationnaire à 30 mètres de haut, à la verticale du public. Une porte s’ouvrit. Une silhouette apparut devant la porte ouverte de l’hélicoptère. Ce qui surprit le plus Mig à cette première apparition ne fut pas de voir le père Noël avec une paire de lunettes mais de le découvrir en costume cravate aux couleurs de Noël.
Le personnage ressemblait en tous points à la vision qu’en donnaient les livres pour enfants du monde entier. Grosses joues roses, barbe blanche fournie, embonpoint certain : c’était lui, pas de doute.
Léon glissa à l’oreille de Mig :
- Ne t’inquiète pas, chaque année, on a droit à une entrée fracassante. La dernière fois, il est arrivé en parapente…
Mig n’écoutait que d’une oreille, les yeux rivés vers l’hélicoptère.
Les bras en croix, le père Noël se jeta dans le vide. L’élastique qui reliait ses pieds à l’hélicoptère se déroula pendant la descente, puis se tendit brutalement. La tête du père Noël s’arrêta à moins d’un mètre de l’iceberg qui servait d’estrade.
La tête en bas, l’homme à la barbe blanche posa une main sur le sol. Dans la même seconde, il retira de l’autre main ses lunettes de soleil et sourit aux photographes qui le mitraillèrent. Puis le père Noël remit ses lunettes et repartit en un éclair dans les airs, en alternant successivement descentes et remontées, sous les applaudissements de la foule conquise par le spectacle.
Dès que le père Noël cessa ses allers et retours verticaux au bout de l’élastique, plusieurs lutins arrivèrent pour le détacher. Malgré leurs efforts, le bonhomme en costume offrait un sourire crispé à la foule, la tête en bas, et les rennes commencèrent à voir sa tête virer au rouge. Le père Noël, qui commençait à perdre patience, lança un juron quand, soudain, un lutin réussit à le libérer. L’homme en costume s’écrasa sur le sol. Il se releva immédiatement, un sourire forcé aux lèvres, et proféra à voix basse des insanités au lutin responsable de sa chute.
Il s’avança ensuite vers le micro sous les crépitements des flashs des photographes. Autour de lui, quatre pingouins aux lunettes noires, la nageoire posée sur l’oreillette, scrutaient la foule avec intérêt.
- Les gardes du corps du père Noël, indiqua Léon à Mig. Ce sont des membres du GIPN, la police spéciale de Noël, des pingouins surentraînés spécialisés dans la lutte antiterroriste[2].
- Vraiment ? Quel est le danger ici ? s’étonna Mig.
- Chaque année, un groupe de rebelles anti-Noël tente de saboter la distribution des cadeaux. L’an dernier, ils ont tenté d’introduire une boule puante dans le sac du père Noël pour contaminer tous les cadeaux. Heureusement, la brigade de déminage est intervenue à temps…
- Je m’en souviens, ils en avaient parlé dans la Gazette du Fjord !
- Le père Noël aurait reçu des menaces cette année, paraît-il. D’où les gardes du corps et la sécurité renforcée.
Sur l’estrade, le père Noël se racla la gorge.
- Bienvenue à tous ! Merci, merci… dit-il en saluant les rennes au premier rang.
- Chers amis, reprit-il, je dois d’abord vous féliciter : vous avez été sélectionnés pour passer les tests et, peut-être, faire partie des huit rennes de mon attelage. Toutefois, je tiens à vous prévenir : la sélection est rude et sans pitié. Seuls les plus forts, les plus courageux, les plus aptes à recevoir et donner l’esprit de Noël iront jusqu’au bout. Un long chemin semé d’embûches vous attend ! Quand le moment tant attendu viendra, le 24 décembre, nous irons - VOUS irez - distribuer les cadeaux aux enfants du monde entier !
Les animaux applaudirent à tout rompre.
- Bonne chance à tous ! Et n’oubliez pas : être renne du père Noël, c’est du bonheur à la pelle !
Re-hourra du public. Le père Noël descendit de l’iceberg pour prendre un bain de foule et distribuer des photos dédicacées. Les quatre pingouins gardes du corps l’encadraient, tentant tant bien que mal de contenir les assauts des fans.
- Je ne l’imaginais pas comme ça, dit Mig en se tournant vers Polysti.
- Moi non plus. Et son habit de Noël, il existe au moins ?
- C’est celui pour la distribution des cadeaux, répondit Léon. Il ne le met que ce soir-là. Suivez-moi ! Je vais vous montrer où vous allez loger pendant le concours.
Les deux caribous suivirent le petit être au bonnet et sortirent de la foule pour se diriger vers une série de cabanes en bois posées plus loin sur la banquise.
[1] Oiseau de mer noir et blanc proche du pingouin. Ce petit oiseau trapu et palmipède pèse environ 1 kg pour une taille de 30 cm. Cet excellent plongeur utilise ses ailes courtes pour se propulser sous l’eau. Il est capable de rester sous la surface pendant plusieurs minutes d’affilée et descend facilement à plus de 100 m de profondeur pour attraper petits poissons, calmars et krill.
[2] Le GIPN (Groupement d’Intervention des Pingouins de Noël) est un commando d’élite chargé d’assurer la sécurité du père Noël et de lutter contre toute tentative de sabotage de la distribution des cadeaux. Ses membres, les meilleurs pingouins et manchots, reçoivent une formation spéciale à l’issue de laquelle ils choisissent une spécialité : déminage, infiltration…

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